Vote de non-confiance
Tout à l’heure, je suis allée voter par anticipation. C’était beau à voir, il y avait beaucoup de monde, beaucoup de familles. J’ai attendu à l’entrée avant d’être redirigée vers mon bureau de vote. Rendue là, il y avait deux files pour le 612. Le 612 A ou le 612 B, par nom de famille, justement.
Un homme âgé s’est approché en même temps que moi et s’est tout de suite placé dans la B. Parce qu’il avait l’air confus, et que je voulais m’assurer qu’il n’attende pas pour rien, j’ai fait signe à un employé pour lui demander si quelqu’un avait vérifié s’il était dans la bonne file. L’employé s’est contenté de me dire bêtement en me dévisageant : « J’ai vérifié ».
Là, moi, j’essaye de me contenir, mais j’ai été submergée par la honte. « Ah mon Dieu, je suis dont ben contrôlante, laisse donc le monde faire leur travail, Odile, pourquoi est-ce que tu penses tout le temps que les gens sont incompétents ? » Etc etc…. Une chance que j’avais mes lunettes de soleil, car je me suis sentie rougir ! En somme, je me tapais sur la tête pour être une germaine contrôlante, quand dans les faits, mon intervention était motivée par l’empathie.
Mais qu’est-ce qui arrive après pensez-vous ? C’est au tour de l’homme âgé de voter… et il n’est pas dans la bonne file.
Comment est-ce possible ?
Voici ce qui est arrivé : l’homme a donné son deuxième de nom de famille à l’employé et celui-ci n’a pas regardé sa carte d’identification pour s’assurer qu’il n’en avait pas un premier. L’homme s’est donc retrouvé dans la mauvaise file, comme je l’avais pressenti.
De quoi nous parle cette histoire ?
De plusieurs choses.
De un, ça parle de confiance. J’ai eu l’intuition que l’homme n’était pas dans la bonne file, je me suis écoutée, et je suis intervenue. Ça, c’est super, et la prochaine fois, j’essayerais de moins me juger pour essayer d’aider les gens même si c’est vrai que je suis contrôlante… car on peut être contrôlante et empathique !
Cependant, ça parle aussi de comment avoir confiance peut mener à l’incompétence. L’employé a fait confiance à une personne âgée confuse, a pris sa parole pour du cash, et l’a envoyé dans la mauvaise file, l’obligeant ainsi à patienter davantage. Faire confiance, dans ce cas-ci, a donc nui à cet électeur au lieu de l’aider.
C’est intéressant, non, comment dans cet exemple ne pas faire confiance était l’attitude la plus empathique à avoir pour aider ce vieil homme ?
Avoir de l’empathie, ça peut en effet vouloir dire de se méfier des gens. Surtout des personnes vulnérables, comme les personnes âgées et les enfants. « As-tu pris ton médicament Papi ? Oui oui ! T’es tu brossé les dents, mon grand ? Oui, absolument ! »
De deux, ça parle de lâcher prise. Lâcher prise que je ne peux pas toujours aider les gens car mes actions peuvent être sabotées par celles des autres. Lâcher prise de l’incompétence de ceux et celles qui sont en position d’autorité. Lâcher prise que je n’ai pas le contrôle de comment les gens traitent les autres personnes autour de moi. Enfin, lâcher prise que je n’ai le contrôle de rien, et que ça m’énerve au plus haut point.
Parce que si je suis honnête avec moi-même, est-ce que mon intervention était réellement motivée par l’empathie ? N’était-elle pas davantage motivée par ma croyance (qui se concrétise d’ailleurs trop souvent) que les gens sont incompétents et non dignes de confiance ?
Dans ce cas-ci, mon empathie ressemblerait davantage à du mépris, et me cantonnerait dans un cercle vicieux de doute maladif, car si avoir confiance mène à l’incompétence, et que l’incompétence répétée crée de la non-confiance, eh bien on se ramasse avec de plus en plus de germaines contrôlantes comme moi dans la société.
Qu’en pensez-vous ? Comment percevez-vous le lien entre confiance et incompétence? Peut-on être empathique et ne pas faire confiance ?
J’aimerais juste ça que les gens soient capables d’accomplir des tâches simples comme vérifier l’identité d’un électeur et l’envoyer dans la bonne file. J’aimerais ça ne pas avoir à douter de la capacité de quelqu’un à effectuer ceci, et ne pas avoir des preuves tangibles que j’avais bien fait de ne pas faire confiance car la personne était bel et bien incompétente.
Enfin. C’est la bataille de ma vie.
Bon, allez voter. Et mettez-vous dans la bonne file !