Marguerite
Pendant mes études universitaires, j’ai habité avec ma grand-mère Marguerite. Quand elle s’est mariée, elle a emménagé dans cette maison et ne l’a jamais quitté.
En tant que femme au foyer, cette maison était toute sa vie. Elle y a élevé d’une main de fer ses quatre fils, et s’est occupée de son mari, Albert. Elle y a toujours TOUT fait à sa manière, une manière qu’elle avait apprise de sa mère, et qu’elle a perfectionnée au fil des années.
Quand j’ai emménagé chez elle, donc, elle n’avait pas vécu avec une femme depuis 1950. Et pas n’importe quelle femme, une femme qui avait bien l’intention de conserver son indépendance.
Au début, elle a essayé de me gérer comme elle a appris à gérer sa famille. Elle voulait me faire à manger, faire mon lavage, ranger ma chambre… Ça peut sembler l’fun comme ça, mais moi, ça me rendait complètement folle !
Je vous raconte tout ça parce que lui faire comprendre que je n’avais pas besoin d’elle et que c’était important pour moi de faire mes choses à ma façon a été très difficile pour nous deux.
De mon point de vue, lui demander de ne pas s’occuper de moi semblait si simple. Mais en tant que femme au foyer, s’occuper des autres a toujours été sa seule et unique fonction; et là, je lui demandais de ne pas faire ce qu’elle avait été programmée à faire toute sa vie.
Je me rappelle, une fois, elle était rentrée dans ma chambre pendant que j’étais à l’école pour ranger. Sur un meuble, j’avais un sac de plastique dans lequel je gardais mon cadenas pour le gym. C’était mon rituel pour ne pas l’oublier. Il restait toujours dans le sac et je n’avais qu’à rajouter mes souliers de course avant de partir.
Quand elle a rangé ma chambre, elle a sorti le cadenas et l’a mis ailleurs. Après, évidemment, quand je suis allée au gym, je ne l’avais plus ! J’étais tellement fâchée. Dans sa tête, elle avait rangé ma chambre de façon optimale. Elle ne comprenait pas pourquoi sa façon de faire ne fonctionnait pas pour moi. Et c’était encore plus difficile pour elle de comprendre pourquoi j’étais fâchée, et surtout, d’arrêter de ranger ma chambre dans mon dos.
Je vous raconte cette histoire parce que mon amoureux m’a fait faire une belle prise de conscience hier.
Depuis qu’il a emménagé dans son nouvel appartement, j’ai (tiens tiens…) la fâcheuse manie de faire du ménage dans son dos. Il est occupé et pas fort sur le ménage, et moi, j’aime organiser et nettoyer (ah oui !?).
La plupart du temps, ça lui fait plaisir… sauf quand je fais du ménage dans la cuisine. La cuisine a toujours été son terrain de jeu, et étant donné qu’il est le seul à cuisiner, il a ses habitudes et ses points de repère. C’est tout à fait compréhensible. Il m’a dit à plusieurs reprises de ne pas ranger et bouger les choses, mais… ça rentre par une oreille et ça sort par l’autre (hmm hmm…).
C’est vraiment difficile pour moi de me retenir… j’aime tellement ça ranger ! Mais la vérité est que j’aime vraiment ça contrôler. Je n’habite pas là, mais je crois savoir mieux que lui quelle est la configuration idéale pour sa cuisine (intéressant…).
Hier, donc, il est venu me voir et m’a dit que j’avais fait une modification dans sa cuisine qui peut sembler logique, oui, mais que pour lui, ce n’est pas du tout pratique.
J’ai vu l’irritation dans ses yeux et j’ai eu honte de moi parce que ce n’est pas la première fois qu’il me demande gentiment d’arrêter.
Jusqu’à hier, c’est comme si je n’avais pas eu d’empathie pour ses besoins, que je les minimisais, et que je priorisais la satisfaction de mes besoins chez lui…
Jusqu’à ce que je repense à cette histoire de cadenas avec Marguerite.
O.M.G.
Je fais exactement comme elle !
Je pense savoir mieux que mon chum quel est son système idéal. Je l’infantilise en pensant qu’il n’est pas capable de s’occuper de lui-même parce que je juge sa façon de s’organiser… Eh la la. J’étais pas mal découragée de faire ce constat.
Mais aujourd’hui, je me sens mieux, comme si j’avais eu besoin de faire remonter ce souvenir-là pour enfin avoir de l’empathie et de la compréhension pour ses besoins.
Je ne veux évidemment pas agir comme ma grand-mère !
Je me suis aussi souvenue que, quand j’habitais chez Marguerite, j’avais collé une note à l’endos de ma porte de chambre qui disait: T’es pas chez vous, Odile !
Parce que bien que Marguerite essayait de me contrôler, la vérité est que je faisais la même chose avec elle. Je trouvais que sa façon de gérer son garde-manger n’avait pas d’allure, que son accumulation de plats en plastique était encombrante… et je faisais du ménage, moi aussi, dans son dos.
Ah la la. Wow. Ça fait drôle de faire des liens comme ça dix ans plus tard.
Et….
Ça m’amène inévitablement à réfléchir aux raisons pour lesquelles je suis si excitée à l’idée d’aller chez les gens pour les désencombrer… Est-ce par souci réel de vouloir les aider à alléger leur quotidien ? Ou bien est-ce pour partir en mode missionnaire et leur imposer MA façon de vivre que je considère LA meilleure ?
Aie aie aie….
Beaucoup de matière à décortiquer ici.
Des fois, je me demande si je ne suis pas possédée par Marguerite… on se ressemble sur tellement de points ! Non-confiance, jugement, dévalorisation, obsession sur le ménage, contrôle des autres… Ouf.
Merci mon beau d’être patiente avec moi.